En boxe, le sens de l’observation est une faculté indispensable au bon déroulement d’un match et d’une carrière. Lyès « Big-X » Chaïbi l’a très bien compris. Pour ce jeune trentenaire, professionnel depuis 2010, cette analyse s’est développée naturellement. Défensif et tactique, Big-X prend en compte la gestuelle et les expressions faciales de ses adversaires afin d’anticiper les assauts et de répliquer intelligemment. Si le Stéphanois à l’actualité sportive brûlante* a su développer cet outil de décryptage avec le temps, une aide scientifique poussée peut-elle améliorer la préparation d’un champion ?
Interview de Lyès Chaïbi
Hugues Hippler : Avoir l’œil du tigre (Rocky III) est une expression qui évoque immédiatement la boxe. Pour toi, que signifie-t-elle concrètement ?
Lyès Chaïbi : C’est avant tout la détermination que l’on peut lire dans le regard d’une personne. Face à un adversaire adoptant cette attitude, je suis prévenu qu’il me faudra défendre mon steak, que le combat sera difficile. Certains boxeurs en jouent d’ailleurs. Ils n’ont parfois que cela à mettre en avant. D’autres au contraire baissent la tête avant le gong et évitent les regards. S’ils restent calmes, c’est encore plus déstabilisant… Un gars serein, sans stress, démontre par son absence de gestes qu’il est sûr de sa force, qu’il sait ce qu’il a à faire…
Hugues Hippler : Est-il possible de savoir ce qu’un adversaire va faire ?
Lyès Chaïbi : Souvent, l’observation du visage ou des gestes donnent une vraie indication. Seulement, il est déjà trop tard ! L’expression ou la micro-expression faciale peuvent se repérer, mais il n’y a rien à faire ; tu sais simplement que tu vas prendre un coup. Toutefois, cela permet de l’absorber. Un KO est souvent un coup que tu n’as pas vu partir. Tu l’as pris parce que tu ne t’y attendais pas. Heureusement, cela ne m’est pas arrivé.
Il est aussi possible, quand même, de voir l’expression et d’anticiper à temps, en reculant. Cela peut sauver ! La fatigue chez l’autre se voit également.De toute manière, les boxeurs communiquent sans se parler. Lors d’un joli coup de mon adversaire, je lui souris. Cela signifie que je reconnais son beau mouvement. Mais cela veut aussi dire que derrière je vais enchaîner à mon tour…
Hugues Hippler : Où l’œil du boxeur doit-il regarder lors d’une opposition pour parvenir à anticiper ?
Lyès Chaïbi : Notre regard est panoramique : d’un seul coup, il doit pouvoir scruter autant le corps que le visage de l’autre pour donner le maximum d’informations, et de prendre une bonne décision : la bonne. Cela permet de voir le coup à venir ou même les feintes. D’autant qu’à partir d’un certain niveau, elles sont de plus en plus nombreuses : autant celles du corps que des yeux ! Il m’arrive par exemple de baisser mon regard au niveau du ventre ou des pieds de mon adversaire et d’enclencher directement un coup au visage. Et ça touche !
Hugues Hippler : Est-il plus simple d’analyser un adversaire que l’on connaît parfaitement ?
Lyès Chaïbi : Plus jeune, j’avais l’habitude de boxer avec un ami. Nous connaissions notre boxe par cœur et nous essayions toujours de contre-carrer les plans de l’autre. Cela ne marchait pas toujours, c’est dire ! Un boxeur débutant est assez perturbant à combattre. Les repères sont brouillés. Ses gestes étant inhabituels, il touchera plus qu’un pugiliste expérimenté. Les puncheurs francs sont les plus simples à lire. Même s’ils tapent fort, leur manière robotique d’agir les rend prévisibles.
Après, ce sont la rapidité, le physique qui donnent un temps d’avance. En tant que boxeur défensif, je joue là-dessus. Il faut aussi analyser et s’adapter. Tous ne se posent pas la question. Les oppositions de style entre esthètes et frappeurs donnent d’ailleurs de très beaux combats, car ils se complètent parfaitement.
Avec mon coach, j’ai souvent un temps d’avance. Lorsque je commets une erreur, je remarque instantanément une micro-expression faciale très rapide au niveau de ses yeux qui s’écarquillent. Cela signifie qu’il a vu mon erreur et qu’il vient de trouver une ouverture ! De mon côté, j’ai conscience d’avoir fait une faute, mais j’ai vu qu’il l’a notée ! Machinalement, il va vouloir me la faire payer. Mais j’anticipe et j’évite la sanction !
Hugues Hippler : Lorsque tu affrontes un sparring-partner avec un casque de protection, cela doit gêner ta lecture de ses expressions faciales. De même qu’avec une garde face à toi qui serait trop haute, voilant toute la partie inférieure du visage…
Lyès Chaïbi : Un casque ne gêne pas forcément. Tant que je vois les yeux, ça va. Et on arrive toujours à voir la bouche, ou la mâchoire qui se serre. Quant à l’adversaire qui possède une garde qui dissimule trop son visage, c’est à moi de le forcer à l’enlever. Quand dans une fontaine il y a une tâche brune et que tu ignores s’il s’agit d’une pièce ou d’un crapaud, le meilleur moyen de savoir est de plonger la main dans l’eau !
Hugues Hippler : Quelles circonstances peuvent parasiter le décryptage ?
Lyès Chaïbi : Avant tout la fatigue. L’ennemi reste la perte de lucidité qui détériore la vision. Cela peut aussi provenir d’un énervement causé par un arbitre trop tatillon ou sur mon dos. La concentration disparaît et il existe un risque d’être moins focalisé sur les aspects importants. Évidemment, une blessure à l’œil gêne aussi. C’est d’ailleurs dans ces moments-là qu’une concentration sans faille aide.
Un public hostile, moqueur, peut parasiter, notamment en troublant la concentration. Mais cela fait toujours plaisir de coller un coup gagnant après un mot désagréable entendu dans la foule !
Hugues Hippler : Une étude plus poussée mêlant analyse des micro-expressions faciales et de la gestuelle dans le milieu de la boxe pourrait-elle vraiment apporter un plus à ceux qui pratiquent le Noble art ?
Lyès Chaïbi : De plus en plus de champions prennent un coach mental, un psy ou tout autre professionnel du comportement pour être plus performant. Aux États-Unis, le pro a souvent quatre gars à ses côtés qui lui répètent toute la journée qu’il est le meilleur. Le capital confiance décuple. C’est aussi ce qui fait leur force. Ne nous trompons pas, les grands sportifs interrogés répondent toujours qu’ils sont prêts à 100% mentalement et physiquement. Le mot mentalement est toujours lâché en premier. Ce n’est pas anodin…
L’étude des micro-expressions et de la gestuelle pourrait être efficace en boxe à condition d’analyser tous les adversaires pour à chaque fois les connaître parfaitement.
Pour un athlète, dans un sport de duel, qui plus est de combat, la règle est simple : un face-à-face, avec ses propres armes. Il faut être prêt. Pour cela, mieux vaut être un touche-à-tout. Côté sportif, cela signifie pratiquer d’autres activités comme la course, la natation. Coté mental, il faut également être paré. Alors avoir des connaissances supplémentaires et poussées en non-verbal à partir d’études sur le sujet, pourquoi pas !
* L’œil du tigre…
Lyès aura besoin de toute sa concentration afin de faire parler ses poings lors de son prochain combat. Après avoir combattu partout en France, mais aussi en dehors de ses frontières en Europe face aux meilleurs de sa catégorie, il s’est envolé jeudi pour le continent américain. Et c’est une grande première ! Samedi 15 février 2014, il sera opposé à Samuel Vargas (champion du Canada et Naba -Nord américain). Cela s’annonce comme le défi le plus dur jamais relevé par le champion français.
Digest
Lyès Chaïbi,
Né à Saint-Étienne
Champion de France néo pro
Finaliste du tournoi de France
17 combats, 11 victoires (1 KO), 5 défaites, 1 nul